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Récit des évènements de début 1944 à l’ENP Voiron
C’est à cette époque après avoir été naturalisé français que je commence mes études à l’Ecole Nationale Professionnelle (ENP) de Nantes.
J’ai pris pension chez la mère Turcaud.
C’est chez elle que j’ai connu Georges Camus (qui deviendra mon beau-frère) son frère Jacques, André Pézavent célèbre conteur d’histoires normandes.
C’est grâce à la mère Turcaud que j’ai appris qu’il est de bon ton de présenter ses excuses (Oh pardon !) aux portes dont l’embrasure a été rendue trop étroite par les vapeurs d’alcool. (elle les voyait doubles et ne savait pas laquelle était la bonne.)
La première année de scolarité ne se passe pas trop mal.
Je suis le seul élève ENP de la région ce qui me donne droit à une bourse de la part de la Chambre de Commerce de La Rochelle.
Malheureusement pendant le période des vacances (juillet septembre 1943 ?) Nantes et la base des sous-marins de St-Nazaire sont bombardées par les alliés.
Le centre de la ville, la rue Crébillon, est complètement rasé ; il ne reste qu’un tas de décombres qui atteint la hauteur d’un 3ième étage et des dizaines de victimes.
La situation étant devenue trop dangereuse le directeur Mr Gallois, nous avise que les élèves seront répartis dans les ENP ailleurs en France dans des endroits moins exposés. Je suis donc, avec une trentaine de mes camarades désigné pour continuer mes études à Voiron la seule école à enseigner la fonderie qui devait devenir ma spécialité.
La distance d’avec ma famille et le mode de vie ne sont plus les mêmes, il s’agit maintenant d’un internat de quelque 600 élèves et les conditions d’existence sont bien différentes de celles de chez la mère Turcaud malgré son penchant pour la bouteille et les portes de sa cuisine trop étroites.
Le logement et les études se déroulent dans une ambiance surpeuplée et froide en ce mois d’octobre 1943.
La subsistance est lamentable et provoque des révoltes de réfectoire.
Les surveillants sont sifflés et chahutés avec les carottes quotidiennes projetées avec les fourchettes comme catapulte.
L’école est une immense propriété avec un parc clôturé et tous les départements pour en faire une entité autonome avec, en plus des bâtiments scolaires, les installations sportives, buanderie, les dortoirs, l’infirmerie, des logements pour les surveillants et certains professeurs etc…
Nous les réfugiés nantais, étions logés dans des combles transformés en dortoirs, et les cours avaient lieu dans une salle polyvalente, théâtre, cinéma, et dans lequel on avait rassemblé à notre intention pupitres et tableaux noirs récupérés ou mis au rebut pour en faire une salle de classe.
C’est dans cette atmosphère peu sympathique qu’éclate le drame dont toute la France va parler.
L’affaire commence un matin lorsque nous apprenons l’assassinat d’un commandant de la milice de Pétain.
Cette milice, haïe des français, constituée de repris de justice libérés avait pour but de pourchasser les juifs et les partisans pour les remettre aux allemands qui les expédiaient en Allemagne dans les camps de la mort.
Ceci s’est passé pendant la nuit dans la maison d’habitation du milicien, de l’autre coté de l’avenue juste en face de l’entrée de l’école.
Tous les membres de la famille et les gardes du corps ont été passés par les armes.
Parmi les victimes se trouvent un enfant dans son berceau et un autre de 4 ans, la femme, et la grand-mère.
Pendant quelques jours il règne une atmosphère assez tendue dans l’école et un calme inhabituel. Puis on apprend que ce sont des élèves de l’école qui sont impliqués dans cette affaire.
L’école est envahie de policiers, le directeur est arrêté ainsi que d’autres personnes, elles sont frappées et rouées de coups devant les élèves rassemblés dans la cour pour les obliger a assister au spectacle.
Des interrogatoires serrés sont menés parmi les élèves, puis, ce que nous les nantais ne pouvions pas soupçonner parce qu’arrivés récemment, se fait au grand jour.
Le directeur de l’école, et forcément d’autres personnes, abritaient sous des faux noms des fils de juifs déportés et de nord-africains qui, bien que leurs études fussent terminées ne pouvaient plus rentrer chez eux sous peine de risquer eux-mêmes la déportation.
Note : Pour pouvoir sortir de l’école les jours de congé le samedi ou le dimanche il fallait avoir des parrains en ville, qui, en principe, étaient chargés d’une certaine surveillance de ces heures de liberté et chez qui il fallait se présenter de temps en temps et ou parfois on était invité pour un thé.
Animés par un désir de vengeance, préméditée depuis longtemps, un certain nombre d’entre eux passaient leur temps libre chez leur parrain milicien, avec qui ils avaient feint de se lier d’amitié.
Souvent le soir ils "faisaient le mur" pour jouer aux cartes ou discuter, jusqu’au soir ou en s’emparant par surprise des armes des gardes ils ont abattu tous les occupants.
Par malchance un ricochet blesse un des élèves en lui traversant la main.
Au bout de quelques jours son état a nécessité des soins médicaux et, pour les justifier, se provoque une grave brûlure à la forge de son atelier d’apprentissage.
L’infirmière, pas dupe, admet la brûlure à l’intérieur de la main mais comprend que la blessure sur le dos de la main est d’une autre nature, probablement l’orifice de sortie d’une balle.
Que ce soit ou non l’infirmière qui l’ait dénoncé le résultat aurait été le même, la police avait déjà découvert une chemise ensanglantée mal camouflée dans un buisson du parc.
En plus du personnel administratif, le directeur, le surveillant général, certains professeurs sont en cause pour avoir dissimulé certains élèves sous un faux nom et 17 élèves ont organisé et participé à l’assassinat.
Durant une quinzaine de jours l’école est complètement isolée aucun courrier aucun contact avec l’extérieur n’est permis.
Tous les élèves sont soumis aux perquisitions des enquêteurs pour essayer de découvrir d’autres complots ou des armes.
Il faut rappeler que Voiron est à la porte du Vercors haut lieu de la résistance française.
Sur ordre des autorités l’école doit être fermée et complètement évacuée.
Les responsables sont emprisonnés envoyés en Allemagne ou fusillés.
Le Maréchal Pétain essaie bien d’intervenir mais la faiblesse de sa position ne lui permet pas d’être très efficace.
Le retour à la maison s’effectue par petits groupes de 10 sous surveillance armée et contrôle de la destination du billet de chemin de fer avec le registre des élèves où sont notées les adresses des parents.
Jean Gubler. Tous droits réservés.