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L’éponge qui voulait boire la Loire
Carotte, un R et deux T
Carotte, un R et deux T
Carotte…
Frittage, un R et deux T
Frittage, un R et deux T
Frittage…
Bon sang, je vais y arriver dit la chose en s’adressant à la rengaine des cent lignes. Il faut passer par là, semer pour récolter, comme forger pour devenir…
Devenir quoi au fait ? Peut-être une nouvelle idée, un nouveau concept. Celui de concept de concept par exemple.
Ce matin, la chose musarde dans l’atelier où, depuis longtemps, l’odeur de suif a fait place à celle des polymères lorsque la presse, deux ou trois fois l’an, crache ses vapeurs, ses bavures et autres trop pleins de matières.
Non loin de là, toujours dans l’ancienne "cathédrale" du lycée ; une machine de découpe à fil par électroérosion, berce le parc à robots de son doux « ronron » caractéristique tout en rendant , fuite oblige, un peu marécageuse l’entrée du hall dédié aux monstres des microtechnologues en herbe.
Dans ce paysage bien fait, il faut des exceptions pour confirmer la règle. Ma présence est donc ajoutée à celle d’un philosophe et d’un artiste. Que font-ils dans cette jungle ? Il y a du décalé, du trop décent là-dessous…
Salut la chose, entame le fils de Platon. Salut Bennonfray, rétorque le comédien de service. Je te présente l’artiste. Bonjour l’Artiste, que nous vaut cette très honorable visite en ce lieu saint ? …
Rapidement, je comprends que l’Artiste baigne dans son monde. C’est tout lui ça ! Il n’aime pas l’eau. Pour preuve, il veut toute la boire. Quelle soif !
Malgré l’emprise du temps, la chose a flairé ; elle a senti le besoin de savoir des deux autres. Dans sa tête, en effet, les mots ont vite fait « tilt ». Bronze et éponge, sont de ceux qui déclenchent souvenirs et nouveaux délires à lire.
Vous savez, dit la chose, j’ai appris tout cela au fin fond de l’Afrique. Un arménien, Monsieur Malkassian, avec qui je m’entendais bien et surtout avec qui je partageais une immense motivation à aider mon prochain, était rentré d’Erévan avec des sachets de poudres métalliques.
Les gris gris n’étaient pas éloignés et nous allions bien rire.
Tu vas voir, nous allons surprendre tout notre monde » avait affirmé mon collègue.
Rapidement, un chaouch est envoyé au débit, c’est-à-dire à quatre pattes dans la cour. Il est le gardien du lieu, surtout l’homme à tout faire et qui sait tout faire !
Une nuit, trois lames de scie à métaux et 10 000 FCFA plus tard ; une rondelle, transportable par l’homme, tirée d’un rond de trois cents millimètres de diamètre sur six mètres de long, échoué dans les herbes il y a peut-être une guerre de cela, passe entre les mors géants du plus gros mandrin disponible à l’époque sur notre immense tour italien, aussi âgé que l’acier sur recuit alors à usiner.
Les formes jaillissent des copeaux luisants. Bamako, par école d’ingénieurs interposée, sera en ce mois de septembre 1987, la première ville africaine à proposer les matrices utiles au compactage des poudres.
Un furtif passage au laboratoire de chimie nous permet, toujours soviétique en tête, un dosage pile poil de notre mélange sec de cuivre, de zinc et de quatre autres poudres de perlimpinpin, additifs métalliques nécessaires dont seul l’arménien de service a le secret.
Sous l’œil d’un Dembélé, aussi curieux que sceptique sur la destinée de l’alchimie, nous compactons la farine brune en nous aidant de la presse hydraulique Facom de mon laboratoire de montage démontage. Nous venions en effet de prier, à genoux, le cerbère ancestral du laboratoire de traitements thermiques, de bien vouloir brancher le four électrique de son antre. Depuis lors, il nous suit au micron. Pas moyen de nous en séparer, il ira conter la bonne nouvelle, c’est toujours cela de gagné.
Avec toutes les précautions du monde nous démoulons la pièce qui sort de son empreinte. Elle me semble rigide mais il ne faudrait pas la laisser tomber. Les poussières ne sont que compactées et la pièce est encore fragile même si elle n’est pas friable au toucher.
Sur la grille du four, le zinc a juste eu le temps de créer ses micros brasures. Au top chrono, il faut vite sortir l’objet de notre travail et le laisser refroidir pour qu’il tende vers les 35°C. C’est-à-dire la température ambiante, à l’ombre, en cette saison, lorsque l’on frôle le tropique. Maintenant vous pouvez contrôler les cotes, éventuellement faire un peu de calibrage car la pièce est devenue plus solide. Une reprise par usinage peut aussi améliorer l’état de certaines surfaces, même si cette opération ne rentre pas dans les obligations formelles d’un tel procédé d’obtention de pièces métalliques.
Alors, pourquoi parler d’éponge à ce stade de la fabrication ? Tout simplement car, à l’étape où nous sommes, le produit est poreux. Son immersion dans une huile, juste frétillante et sous un vide artificiel, va saturer en lubrifiant les interstices libérés de leur air ambiant. La pièce, ainsi obtenue, sera dite autolubrifiante tant que l’huile emprisonnée en sortira par capillarité lorsqu’elle perdra de sa viscosité en chauffant sous l’effet du méchant frottement.
Vide de liquide : attention les dégâts ! Tu étais poussière et tu retourneras poussière.
Dans toutes vos voitures vous avez de telles pièces. En Afrique, depuis 1987, on change les paliers ainsi fabriqués. En France on change le démarreur tout entier…
Si vous compactez du cuivre, de l’aluminium, avec des traces de nickel et de fer aux bons dosages, vous obtenez du cupro-aluminium qui a une très bonne résistance à la corrosion marine et qui est aussi un très bon conducteur électrique. Ceci explique son utilisation dans la connectique en milieux difficiles … mais là l’autolubrification n’est pas recherchée. Comme elle ne l’est pas non plus dans les carbures utilisés pour les outils TGV (à Très Grande Vitesse) de la famille des céramiques métalliques, par exemple : le fameux carbure de titane, ou autres dérivés bien utiles pour les fraises des dentistes. BRRRR….
« Une autre, une autre », semble demander l’artiste. Le philosophe est pressé.
« Tu nous écris tout cela et vite », sont des paroles qui continuent à faire trembler les murs des ateliers qui, au temps jadis, étaient ceux de la fonderie du lycée.
Dont acte.
Moralités : Plus il y a d’huile dans les trous vides et moins j’ai le temps d’en écrire plus.
Le jour où la Loire sera à sec il n’y aura plus besoin de ponts.
Qui a dit que faire de la métallurgie n’était pas faire de la cuisine ?
Denis RETIÈRE