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Emile Lagarde
Émile LAGARDE
Le maître et l’homme
1er rang : Raymond Bourigault (Na 41-46, An 46-49)
2e rang : André Robin, frère de Bernard (Na 47, 4 Spé), Albert Perchirin (Na 47, 4 Spé), Claude Richomme (Na 46, auteur du livre "Nantes et sa conquête de l’eau"), André Jallais
3e rang : Georges Lestrade (Na 42-45, An. 45), Claude Frioux (Na 41-45, ACB) Bossy Paul, frère de Joël (Na 47, ACB), Jean Nocette (na 47, 4 Spé).
© Archives lycée Livet
Émile Lagarde est né à Bézac dans l’Ariège le 17 octobre 1910 ; Après des études brillantes aux Lycées de Foix et de Toulouse, puis en Angleterre, il obtient sa licence d’anglais. Le 1er octobre 1932, il est nommé professeur à l’école hôtelière de Thonon ; le 1er octobre 1935 il est affecté à l’École Nationale Professionnelle Livet. Il était le maître aimé de ses élèves. Nulle distance entre eux et lui. Il les traitait toujours en camarades avec une affectueuse brusquerie qui les enchantait. Et lequel de ses collègues pourra oublier son affabilité, son empressement à rendre service, sa jovialité de méridional toujours prêt au bon mot, toujours enclin à considérer les hommes et les choses et la vie même sous l’angle plaisant. Ce tour d’esprit, concerté chez lui, était né de son horreur pour la pose, pour l’affectation sous toutes ses formes, pour le panache, et ces dehors désinvoltes cachaient une loyauté à toute épreuve, une âme d’une trempe exceptionnelle.
© Archives lycée Livet
Photo Jean-Yves Brouard
© Fonds Paul Mahé
L’enseignement technique et la guerre. Hommage aux morts.
© Archives lycée Livet
© Archives lycée Livet
© Archives lycée Livet
© Archives lycée Livet
UN GRAND FRANÇAIS
En mars 1943, il réussit à adhérer au réseau Cohors-Asturies. Comme un des membres lui demandait s’il avait mesuré tous les risques courus, il eut cette réponse : « Si je n’avais pas pesé tout ce qui m’attend, je ne serais pas ici ».
Peu de temps après il est à la tête du groupe d’action immédiate. Il y révèle les qualités du chef. Son sens de l’organisation, la minutie avec laquelle il prépare les opérations, sa prudence, son sang-froid lui gagnent vite la confiance et l’admiration de ses camarades. Secondé par des hommes admirables, tel son lieutenant Louis Bouillet, il entreprend les opérations de sabotage les plus périlleuses : déraillement de trains allemands, dynamitage de pylônes, du ponton-mâture du port, de la Centrale électrique de Pont-Château.
Mais Émile Lagarde veut mettre toutes ses énergies au service de la résistance ; entre l’enseignement et la lutte contre l’occupant, il a choisi : il obéit au plus haut devoir. Le 18 novembre 1943, il a obtenu, pour une maladie simulée, un congé qu’il fera prolonger de deux mois le 18 février 1944. A cette date, il est à Paris où il remplace un des principaux chefs de la résistance en mission à Londres. Il prépare un dynamitage à l’usine Hotchkiss, un coup de main sur les ateliers de réparations de Villacoublay.
COMPAGNONS DE LUTTE ET DE MARTYRE
Dès septembre 1943, la Gestapo qui mesure la taille de l’adversaire qu’est Lagarde, met sa tête à prix. Un misérable livre tout le groupe. Dans la nuit du 5 au 6 avril 1944, notre camarade et sa femme sont arrêtés à Grandchamp. Le 17 mai, quelques jours avant ce débarquement qu’ils ont tant souhaité, Émile Lagarde et les membres de son groupe sont condamnés à mort par le tribunal de la Feldkommandantur d’Angers. Le jour même ils sont passés par les armes.
Note : Émile Lagarde n’a pas été fusillé contre un poteau d’exécution mais par rafale de mitraillettes avec un groupe de résistants.
© Archives lycée Livet
Photo Jean-Yves Brouard
PS. La date d’arrestation figurant sur ce document a été rectifiée.
Tous droits réservés
Le nom d’ Émile Lagarde ne saurait être séparé de celui de ses admirables compagnons : Louis Bouillet, Alexis Nouvel, Charles Briandet, Jacques Delaunay, François Troussard, Yves Even. Tous ont accueilli la sentence avec calme. Émile Lagarde s’adressant au président du tribunal, lui dit : « Puisque vous allez me fusiller, obtiendrai-je de vous la grâce de ma femme ? »
Il ne l’a pas obtenue. Les étapes du calvaire de Madame Lagarde sont : Romainville, Ravensbruck, usine de Schlehen près de Leipzig, usine de Schônefield, Ravensbruck enfin, où elle meurt fin mars 1945.
SOUVENIR
Le 11 novembre 1944 et le 10 novembre 1945 une délégation de l’École Nationale Professionnelle Livet et de l’École Nationale d’Hydrographie de la Marine Marchande est allée s’incliner sur la tombe d’Émile Lagarde, au cimetière de l’Est à Angers. Le 11 novembre 1945, le Directeur de notre école a, devant tout le personnel, les élèves et les représentants des anciens élèves, salué la mémoire d’Émile Lagarde et des élèves et anciens élèves morts pour le pays. Tous les ans, à la date anniversaire de sa mort une minute de silence est observée par toute l’école.
La Marine Marchande s’est honorée en donnant à un important cargo le nom de « Professeur Émile Lagarde ». Nous sommes heureux d’apprendre que la Médaille de la Résistance vient d’être décernée à notre camarade, magnifiant le don total de lui-même qu’a fait à son pays, en toute simplicité, ce maître admirable dont l’École Nationale Professionnelle Livet conserve pieusement le souvenir.
Fascicule du Centenaire de l’Institution Livet, 16 Octobre 1946.
Note : Émile Lagarde repose depuis le 18 février 1950 au cimetière de Terre Cabade à Toulouse. Section 6, division 8.
© Fonds Paul Mahé
Plaque Émile Lagarde
© Photo M.S
Plaque Émile Lagarde
Inauguration le 16 octobre 1946 par le Préfet de la Loire-Inférieure. Madame Lagarde mère reçu lors de l’inauguration la rosette de la Médaille de la Résistance.
© Photo M.S
© Archives lycée Livet
Mémorial des Victimes de 39-45
Inauguration le 27 juin 1948 par André Morice, Secrétaire d’État à l’Enseignement technique.
© Fonds Paul Mahé
Note : Le cargo portant le nom de Professeur Émile Lagarde a assuré, au départ de Marseille, la desserte de la Côte occidentale d’Afrique. Il a été vendu en 1956 puis en 1959 et enfin une dernière fois en juillet 1967 pour démolition à Istambul.
© Collection Dr Paul Bois
© Photo H. Gauchey
Collection Jean-Yves Brouard
"Ce cargo a appartenu, sous pavillon français, à la compagnie Fraissinet. Il fait partie d’un lot de cargos assez semblables, achetés en 1945 en Angleterre, et qui sont du type Empire. La France avait besoin de cargos à cette époque ; l’année suivante, elle achètera 75 cargos Liberty ships aux Américains. La petite vingtaine d’Empire achetés en été et à l’automne 1945 ont été tous baptisés de noms de résistants, issus du milieu maritime et morts (tous tragiquement) durant la guerre ; ce choix de baptiser ainsi ces bateaux a été fait pour rendre hommage à ces résistants, souvent peu connus. Parmi ces bateaux, il y a donc eu ce cargo qu’on a baptisé Professeur Émile Lagarde, car ce dernier enseignait l’anglais également à l’École de la Marine Marchande."
Un article détaillé sur Émile Lagarde et sur le cargo éponyme a paru dans la revue Navires & Histoire, qui a publié une série documentaire sur le thème des Empire et des résistants marins ou du milieu maritime qui ont donné leur nom à ces bateaux.
Jean-Yves Brouard, Revue Navires & Histoire
© Photo J-J R
© Archives lycée Livet
Allocution
C’est avec une très grande émotion, mais aussi une légitime fierté, que j’ai accepté, mon cher Président, de venir aujourd’hui ici, au double titre d’ancien élève des E.N.P. et d’ancien chef militaire d’un important mouvement de Résistance dans ce département, vous parler d’Émile LAGARDE, dont vous avez eu la délicate attention de donner le nom à la promotion 1964 des techniciens supérieurs du Lycée d’État Livet.
Permettez-moi d’abord d’adresser une filiale pensée à la maman d’Émile LAGARDE et de la prier de nous pardonner de raviver une plaie qui ne s’est certainement jamais fermée, malgré les vingt années qui nous séparent du drame.
Seule une maman a le droit de pleurer un héros ; nous, nous le saluons comme un camarade tombé au cours des très durs et très spéciaux combats de la Résistance.
Le Pays, plongé dans la nuit noire par une défaite sans précédent, privé d’un million et demi de ses fils enfermés derrière les barbelés, affamé progressivement, cherchait, démoralisé, l’issue de ce long tunnel.
Le général de Gaulle déclencha le rassemblement des énergies disponibles à l’extérieur et à l’intérieur de la France.
Alors, les plus intrépides se levèrent, préférant la mort à l’esclavage ; ils marchèrent, brandissant timidement le flambeau de la Liberté, qui n’était – au début – qu’une petite flamme vacillante.
Dix fois, cent fois, ceux qui le portaient tombèrent sous les coups des nombreuses polices de l’ennemi.
Dix fois, cent fois, le flambeau fut ramassé et brandi à nouveau, avec le mépris total de la torture, de la déportation et du peloton d’exécution.
Et puis, avec le débarquement, où se mêlèrent nos alliés, nos frères des armées Leclerc et de Lattre, nous entrevîmes l’issue du long trou noir.
Et ce fut la ruée au grand jour sur un adversaire grisé par sept années de conquêtes, et qui, malgré les rudes coups reçus, conservait intact son mordant.
Enfin, le ciel pur de la Liberté apparut, et ce fut la plus belle récompense pour les survivants de cette douloureuse, mais combien magnifique et grisante épopée au cours de laquelle il fut donné à des hommes de s’unir par-dessus les anciennes passions et d’offrir librement leur vie pour sauver la Patrie.
Émile LAGARDE fut professeur d’Anglais à l’École LIVET, de 1936 à 1943.
Membre du groupe "Action", dès 1942, il relevait du réseau Cohors- Asturies, dont le chef était Doutreligne.
Sa jeunesse, son intelligence, son tempérament et son désir de servir au poste le plus exposé le firent désigner comme chef d’un groupe d’action immédiate, à qui étaient confiées les missions de sabotage, d’enlèvement de traîtres et d’attentats contre les points stratégiques de l’ennemi.
Il avait installé son P.C. dans une ferme de la région de Grand-Champs-des-Fontaines et Madame Émile LAGARDE partageait héroïquement les risques de son mari.
Il est bon de préciser que ces groupes n’intervenaient qu’en exécution d’ordres de l’État Major Général.
LAGARDE a, dans la région, deux actions connues : une attaque d’un train de munitions ; un plastiquage de pylônes H.T.
La Gestapo et ses polices adjointes recherchaient de préférence ces groupes qui les harcelaient constamment.
Deux ans de ruse, face à la meute des policiers, constitue presque un record.
Émile LAGARDE fut arrêté ainsi que son épouse, en avril 1944.
Condamné à mort par le tribunal militaire d’Angers, avec neuf de ses camarades, il fut fusillé le 17 mai.
Madame Émile LAGARDE mourut au début de 1945, après d’atroces souffrances, dans un des plus terribles camps de la mort lente.
Voilà trop brièvement retracée l’action héroïque de celui qui demeurera votre emblème pendant toute votre vie.
Mes chers et jeunes camarades, le fait d’avoir choisi ce nom, synonyme de noblesse et de patriotisme, pour désigner votre promotion, vous honore, mais vous confère des devoirs.
Je souhaite de tout cœur que vous et vos enfants ne revoient jamais les évènements douloureux vécus par notre génération.
Mais, la vie est un combat !
Vous allez être, demain, les cadres de notre armée industrielle. Vous avez le devoir de la conduire à la victoire.
Être d’excellents techniciens, et vous avez acquis tout ce qu’il fallait pour l’être ! c’est très bien. Mais, il faut que vous soyez de vrais chefs, et, pour cela, vous devez développer en vous-même le sens de l’humain et parfaire une culture générale, parfois obligatoirement délaissée en raison de la surcharge des programmes provoquée par les nombreux travaux pratiques indispensables à votre formation.
Enfin, vous devez, avant tout, être des entraîneurs d’hommes ; non seulement à l’intérieur de vos usines, mais dans la vie courante.
La politique cède de plus en plus le pas aux problèmes économiques, et ceux-ci ne comportent généralement qu’une solution logique qui ne peut plus être, ni de gauche, ni de droite.
Vous aurez donc, dans l’avenir, un rôle très important à jouer, et votre action aura une répercussion directe sur la prospérité, sur la grandeur, et sur l’indépendance de notre Patrie.
Je vous souhaite à tous bonne chance.
N’oubliez jamais que vous appartenez à la promotion Émile LAGARDE !
J.COCHÉ
12 Décembre 1964.
© Archives lycée Livet
© Photo J-J R
Mémorial des Victimes de la guerre 14-18
Inauguration le 22 juin 1922 par Mr Vidal, Secrétaire d’État à l’Enseignement technique.
© Archives lycée Livet
© Photo J-L M
© Photo M.S
Lettre de M.Paul Mahé adressée le 16 février 1995 à M.Joubert proviseur.
© Fonds Paul Mahé
Mai 2010. Cinquantenaire de l’École Nationale de la Marine Marchande de Nantes
Je me suis assez vite rendu compte que, hors faits de Résistance, j’étais parmi ceux qui connaissaient bien M. Lagarde, l’ayant eu comme Professeur d’anglais dans deux établissements distincts, dont l’Hydro bien sûr, et c’est pourquoi j’ai pensé pouvoir témoigner.
Pour ce qui touche à son action au sein du Réseau Cohors-Asturies, plus précisément durant la dernière période de son existence, il a fallu attendre le 11 novembre 1944 date à laquelle des délégations de l’Hydro, de Livet et des Arts et Métiers participèrent à une cérémonie civile devant sa sépulture provisoire dans le cimetière est d’Angers. A l’issue de la cérémonie, les participants venant de Nantes prirent un repas en commun à l’École des Arts et Métiers d’Angers. C’est au cours de ce déjeuner que M. Rougerie, Professeur à l’E.N.P Livet nous mit au courant de la dénonciation dont fut victime le groupe Lagarde et des conditions de l’arrestation de M.et Mme Lagarde et d’un réfractaire au S.T.O (Service du Travail Obligatoire) qui logeait chez eux à Grandchamp des Fontaines, près de Nantes.
A l’origine le groupe avait jugé utile (ou peut être reçu l’ordre) de s’adjoindre une personne parlant allemand.
C’est l’individu coopté se prétendant antinazi, d’origine française ou belge, qui les aurait dénoncés. M. Rougerie était furieux de constater que les paysans de Grandchamp des Fontaines n’avaient pas fait preuve de solidarité.
En effet, lorsque les soldats allemands arrivèrent dans l’agglomération, ils patrouillèrent longtemps (deux heures a-t-on dit) avant de localiser la maison éloignée du centre où logeaient les trois réfugiés. Ils ne risquaient pas grand-chose tout au moins au début, estimait M. Rougerie, en signalant à tout hasard la situation à M. Mme Lagarde.
Je n’ai pas prêté attention à l’ensemble de la conversation de M. Rougerie avec ses collègues professeurs.
Dommage, j’aurais pu savoir par quel canal il avait obtenu tous ces renseignements. Je pense que le procès d’Angers n’était pas public mais qu’un avocat français avait été autorisé à y assister. Cette pratique n’était pas exceptionnelle. C’est de cette façon, sans doute, que l‘on a appris les conditions de l’exécution du Groupe Lagarde : les sept condamnés ont été regroupés pour être abattus ensemble, à la mitraillette, après avoir entonné la Marseillaise.
Une deuxième source d’information est constituée par une brochure éditée à l’occasion du centenaire de l’ École Livet (octobre 1946). On y relève un article écrit par un autre collègue de M. Lagarde indiquant que peu après avoir adhéré au réseau en mars 1943, il avait été placé à la tête du groupe Action de Cohors-Asturies.
Pas facile, en effet, d’obtenir des renseignements 55 ans après les faits, nombre de témoins de la période 43/44 ayant disparu. Un peu triste de constater que le sacrifice de ces hommes (et femmes) de conviction s’efface peu à peu de la mémoire collective. Toutefois, une plaque a été scellée dans le hall d’entrée de l’ École Livet de Nantes qui reproduit le texte de la citation à l’ordre de la Nation dont M. Lagarde a fait l’objet (3 juin 1948) et aussi celui de son élévation, à titre posthume, au grade de Chevalier de la Légion d’Honneur : 30 août 1949 (dommage qu’une erreur se soit glissée quant à l’année de son arrestation, 1944 et non 1943).
Enfin, la Mairie de Nantes a attribué, il y a peu, le nom de Réseau Cohors-Asturies à une place de la Ville (secteur Nord près du cimetière paysager).
On ne peut oublier Mme Lagarde qui, bien que ne faisant pas partie du Réseau, a comparu à Angers devant le Conseil de guerre allemand, aux côtés de son mari et de plusieurs membres de Cohors-Asturies. M. Lagarde a rappelé tout au long du procès qu’elle avait été constamment tenue à l’écart de ses activités. Après lecture du verdict lui signifiant sa condamnation à mort (sentence exécutée le jour même 17 mai 1944), M.Lagarde avait demandé au Président la grâce de sa femme.
Mme Lagarde n’est pas revenue des camps d’extermination allemands.
Son calvaire a pris fin à Ravensbrück fin mars 1945.
Paul Mahé, ancien élève d’Hydro,1943.
Discours de M.André Pierrès le 6 mai 2010. Officier Mécanicien Marine Marchande
© Photo C.B
Si Émile Lagarde figure dans la liste des personnes issues du milieu maritime dont les noms ont été attribués en 1945 à un cargo, c’est parce qu’il était aussi professeur d’anglais — et là seulement d’anglais — à l’ École de la Marine Marchande (Hydro) de Nantes, où ses élèves ont gardé de lui le meilleur souvenir. Populaire, Lagarde est aussi animateur de l’équipe de foot de l’école d’Hydro. Chaque cours commence par un commentaire du match précédent de l’équipe de l’école. Son savoureux accent du sud-ouest domine les conversations ; puis, tout à trac, on passe aux choses sérieuses. En anglais, le professeur refait le cours de manœuvre dispensé quelques jours auparavant par le commandant Richard. Malgré les difficultés du vocabulaire maritime, l’exposé est lumineux. Pourtant, avoue Lagarde lui-même, il apprend la marine en même temps que ses élèves…
La guerre arrive. Mobilisé en 1939, le professeur revient à Nantes en 1940 et reprend les cours des 3e et 4e années. A l’insu de beaucoup dans son entourage, y compris de sa femme Raphaëlle, née Drouin, avec laquelle il s’était marié le 3 janvier 1938, il entre en 1942 en résistance. En mars 1943, il réussit à adhérer au réseau Cohors-Asturies, émanation du mouvement Libération. Un de ses membres lui ayant demandé s’il a mesuré tous les risques encourus, il a cette réponse : « Si je n’avais pas pesé tout ce qui m’attend, je ne serais pas ici ! ». Peu après, il est à a tête du groupe « Action immédiate » (AI, chargé des sabotages). Il y révèle des qualités de chef. Son sens de l’organisation, la minutie avec laquelle il prépare les opérations, sa prudence, son sang-froid, lui font vite gagner la confiance et l’admiration de ses camarades.
Le professeur côtoie de vrais marins…au sein du réseau Cohors-Asturies. Sans vraiment le savoir, car tout est volontairement cloisonné pour éviter qu’un membre arrêté, parlant sous la torture, ne dénonce ses camarades. Ces hommes forment une sorte de sous-réseau maritime, plus particulièrement chargé du renseignement sur les côtes, dans les ports, la base sous-marine de Saint-Nazaire, accessoirement du contact avec les sous-marins alliés au large, etc. Il y a là Kerbrat, l’enseigne de vaisseau Pierre Collet, les officiers mécaniciens Le Gros et Cario…Quant au capitaine de corvette de réserve Sylvain Crosnier, il est le directeur de la même école d’hydrographie de Nantes : arrêté en décembre 1943, il sera déporté mais survivra au camp de concentration et redeviendra le directeur de l’école, avant de décéder à la fin des années cinquante.
Le professeur est secondé par des hommes admirables, tels son lieutenant Louis Bouillet, ou ses camarades Even, Nouvel, Troussard, Briaudot, Delaunay et Faucheux. Le groupe participe à des opérations périlleuses : sabotage d’un train de munitions à la sortie du Grand Blottereau, dynamitage de pylônes à haute tension, […] implication directe de Lagarde dans le sabotage de la centrale électrique de Pont-Château, en compagnie de Sylvain Crosnier et d’un universitaire connu, Cavaillés (ce relais alimentait en électricité le secteur de Saint-Nazaire)…
Lagarde échappe de peu à la mort, ne serait-ce qu’à cause des bombardements alliés sur Nantes. Le 23 septembre 1943, jour mémorable, la population est prise sous un déluge de bombes ; le professeur réussit à se mettre à l’abri place de la Petite Hollande, dans une sorte de réduit, jouxtant un escalier de granit, où un jardinier range ses outils, et qui est heureusement vide à ce moment là. Lui et deux amies avec lesquelles il bavardait se blottissent là en compagnie d’un de ses jeunes élèves de l’Hydro qu’il venait de croiser par hasard. Deux personnes toutes proches sont, l’une blessée, l’autre tuée par des éclats d’obus. Une fois la poussière dissipée, on remarque qu’un pavé a atterri entre les genoux de Lagarde qui faisait un rempart de son corps pour protéger les deux femmes. Mais consciencieux, discret et courageux, son éternel chapeau baissé sur les yeux, il se rend peu après sur le port pour répertorier les dégâts et en adresser la liste à son réseau.
Mais il est difficile de poursuivre l’enseignement tout en étant si actif dans la résistance. Entre l’éducation et la lutte contre les Allemands, le professeur Lagarde choisit. Il obtient le 18 novembre 1943 un congé maladie. Maladie simulée, qui stupéfie les élèves, dont un qui, connaissant son domicile dans l’est de la ville, souhaite s’y rendre pour prendre de ses nouvelles. Le professeur n’est plus là. Il a déménagé hors de Nantes.
© Photo C.B
Presse Océan, 7.05.2010
Plaque commémorative des faits de résistance de professeurs et d’élèves de l’E.N.M.M de Nantes
En souvenir des faits de résistance accomplis par : Sylvain Crosnier Directeur, Émile Lagarde Professeur, Pierre Collet Professeur, Pierre Marot Professeur, Yvon Kerbrat Élève.
© Photo C.B